Association France Palestine Solidarité 22 - ST-BRIEUC TTTTTTTTTTTTTTTTT

Poésie et témoignages

de Mona Chollet sur Orient 21
Peut-on aimer un pays
Qui n’est même pas un pays ?

Un pays
Dont on n’a jamais foulé le sol
Un pays avec lequel on n’a,
Pour tout lien physique,
Qu’une lampée d’huile d’olive
Parsemée de zaatar
Qui caresse le gosier
Qui enchante les papilles de sa verdeur

Un pays
Dont on regarde de vieilles photographies,
Le cœur battant,
En y cherchant le visage de ses ancêtres
Au détour d’une ruelle de Jérusalem

Peut-on aimer un pays
Que tant de gens autour de soi
Se réjouissent de voir brûler
Un pays défiguré, englouti par la corrosion d’un seul mot :
« Terroriste »


Un pays d’enfants radieux
Transformés en pantins mutilés
En cadavres poussiéreux

Un pays dont le nom, à lui seul,
Constitue une offense
Dont le drapeau peut vous mener au commissariat
Dont les habitants
Pèsent moins qu’une plume
Sur la balance des vies humaines

Peut-on aimer un pays
Dont même vos amis
Semblent ignorer la part de douceur

Un pays qui vous rend suspecte
Qui vous isole dans le tremblement de votre effroi
Dans le chagrin qui vous réveille la nuit
Dans l’infinie litanie
De souffrances trop vertigineuses
Pour que l’esprit les saisisse

Peut-on aimer un pays entêté
Qu’il serait si facile de renier
Mais qui vous interdit de l’oublier
Un pays qui vous appelle, qui vous oblige
Un pays qui vous demande
De mettre à l’abri ses trésors
Quand vient l’heure inexorable de la destruction

 

Poème de Zayna Azam, femme poète américano-palestinenne

Écris mon nom sur ma jambe, maman…

Avec le feutre noir permament, dont l’encre ne coule pas si elle est mouillée, celle qui ne fond pas, si on l’expose à la chaleur…

Écris mon sur ma jambe, maman… d’un trait épais et précis… ajoute tes fioritures spéciales, pour que je sois réconfortée de voir l’écriture de ma maman quand je m’endors…

Écris mon nom sur ma jambe, maman et aussi sur les jambes de mes sœurs et mes frères…

Ainsi nous resterons ensemble… ainsi on saura que nous sommes tes enfants…

Écris mon nom sur ma jambe, maman… et s’il te plaît, écris aussi ton nom sur ta jambe et celle de papa, pour qu’on se souvienne de nous comme d’une famille…

Écris mon nom sur ma jambe, maman…

Quand la bombe frappera notre maison, quand les murs briseront nos crânes et nos os…

Nos jambes diront notre histoire : que nous n’avions nulle part où courir.

(Traduction Claire Théret (AFPS Trégor)

Write my name on my leg, Mama
Use the black permanent marker
with the ink that doesn’t bleed
if it gets wet, the one that doesn’t melt
if it’s exposed to heat

Write my name on my leg, Mama
Make the lines thick and clear
Add your special flourishes
so I can take comfort in seeing
my mama’s handwriting when I go to sleep

Write my name on my leg, Mama
and on the legs of my sisters and brothers
This way we will belong together
This way we will be known
as your children

Write my name on my leg, Mama
and please write your name
and Baba’s name on your legs, too
so we will be remembered
as a family

Write my name on my leg, Mama
Don’t add any numbers
like when I was born or the address of our home
I don’t want the world to list me as a number
I have a name and I am not a number

Write my name on my leg, Mama
When the bomb hits our house
When the walls crush our skulls and bones
our legs will tell our story, how
there was nowhere for us to run

Mahmoud darwich

Poème : inscris « je suis arabe », Mahmoud Darwich

Inscris
Je suis Arabe
Le numéro de ma carte est cinquante mille
J’ai huit enfants
Et le neuvième viendra… après l’été
Te mettras-tu en colère ?

Inscris
Je suis Arabe
Je travaille avec mes camarades de peine
Dans une carrière
J’ai huit enfants
Pour eux j’arrache du roc
La galette de pain
Les habits et les cahiers
Et je ne viens pas mendier à ta porte
Je ne me rabaisse pas
Devant les dalles de ton seuil
Te mettras-tu en colère ?

Inscris
Je suis Arabe
Mon prénom est commun
Je suis patient dans un pays
Bouillonnant de colère
Mes racines…
Fixées avant la naissance du temps
Avant l’éclosion des siècles
Avant les cyprès et les oliviers
Avant la croissance végétale
Mon père…
De la famille de l’araire
Et non des seigneurs de Noujoub
Mon grand-père, un paysan
Sans arbre généalogique
Il m’a appris les mouvements du soleil
Avant la lecture
Ma maison
Une hutte de gardien
Faite de roseaux et branchages
Es-tu satisfait de ma condition ?
Mon nom est commun

Inscris
Je suis Arabe
Cheveux… noirs
Yeux… marron
Signes distinctifs
Sur la tête un keffieh tenu par une cordelette
Ma paume, rugueuse comme le roc
Écorche la main qu’elle empoigne
Mon adresse :
Je suis d’un village perdu, sans défense
Et tous ses hommes sont au champ et à la carrière…
Te mettras-tu en colère ?

Inscris
Je suis Arabe
Tu m’as spolié des vignes de mes ancêtres
Et de la terre que je cultivais
Avec tous mes enfants
Et tu ne nous as laissé
Ainsi qu’à notre descendance
Que ces cailloux
Votre gouvernement les prendra-t-il aussi
Comme on le dit ?

Alors
Inscris
En tête de la première page
Moi je ne hais pas mes semblables
Et je n’agresse personne
Mais… si jamais on m’affame
Je mange la chair de mon spoliateur
Prends garde… prends garde
À ma faim
Et à ma colère !

MAHMOUD DARWICH
Publié en 1964

Décrypter le célèbre poème

L'écouter en arabe

5 poèmes pour découvrir l'oeuvre du poète

Gaza couv ok

Hossam Al-Madhoun

« Je vous écris de Gaza sous les bombes » publié chez Editions du Cerisier
Textes écrits, entre le 10 octobre et le 28 décembre 2023
Hossam est un des 50 artistes qui ont contribué au livre de Jonathan Daitch « Voix du théâtre en Palestine ». (cf rubrique théâtre)
Vous pouvez trouver les textes suivants sur la page facebook de Jonathan Daitch


29 mars 2024 (texte lu le 6 avril 2024)
Que nous reste-t-il ? Que reste-t-il de nous ?

Des os recouverts de peau et de vêtements sales et bon marché, des visages non rasés depuis des semaines, une marche involontaire au ralenti, la tête baissée, des mains et des visages sales, des pieds d'enfants sans chaussures. Le désespoir est évident, il est si clair et si épais qu'il remplit l'air, tout le monde peut le sentir, le humer, le toucher. Le désespoir se déplace en contrôlant l'atmosphère. Comme si je devenais une créature vivante, en criant fort, je l'emporte. Il n'y a de place que pour moi, le désespoir.

Que nous reste-t-il ? Une armée d'occupation brutale, sauvage et meurtrière sur une terre condamnée.

Des hommes brisés, des femmes vaincues, des enfants détruits. Pas de passé, pas d'avenir, mais le présent, le moment présent, la survie, si possible, mais certainement pas la vie.

Est-ce là le peuple de Gaza ? Suis-je l'homme que j'étais ? Ai-je vécu ? Pendant 55 ans ? Ai-je passé de bons et de mauvais moments comme tout être humain ? Suis-je tombé amoureux ? Suis-je allé à la plage et y ai-je passé du temps libre ? Ai-je bu un verre de bon vin avec des amis bien-aimés ? Suis-je devenu père et ai-je ressenti toutes ces vagues d'émotions ? Ai-je ressenti la tranquillité d'avoir ma propre maison après 30 ans de dur labeur ? Ai-je voyagé, rencontré de nouvelles personnes et profité de nouveaux endroits ?

Je sais que oui, j'étais en Belgique en mai dernier, en Suède et en Jordanie. Je sais que j'ai passé de bons moments avec de nouveaux et d'anciens amis, je sais que j'ai été très heureux de rencontrer mon ami Jonathan après 11 ans d'absence, je sais que j'ai eu beaucoup de plaisir à escalader une montagne.

Mais pourquoi est-ce que je ne ressens plus rien ? Pourquoi les souvenirs reviennent-ils sans sentiments, même les souvenirs tristes sont sans sentiments ? Que m'est-il arrivé ? Quelle partie de moi a été volée ? Je me sens lourd, très lourd, je me déplace lourdement, je respire lourdement. Je porte un cœur très lourd. J'ai mal à l'intérieur de ma poitrine.

Que reste-t-il de moi ? Le reste d'un être humain. Que reste-t-il de nous ? Quelques os recouverts de peau et peut-être d’un peu de sang dans les veines. Pas d'âme. Pas de vie. Juste vivant jusqu'à nouvel ordre.

Quelques heures après avoir envoyé ce texte, Hossam  a écrit :
"Chers ami-es,
Après le dernier article sombre que j'ai écrit
je me dois de vous dire ceci :  
Hier, j'ai éprouvé des sentiments très sombres
Je n'arrivais pas à contrôler une dépression complète,
Mais je peux vous dire maintenant que je vais bien, c'est derrière moi.
Les ondes d'amour que je reçois de vous tous m'ont ramenée à la vie.
Je suis vivante, je suis là, je vais continuer.
Je n'abandonnerai pas
Je ne laisserai pas les princes des ténèbres me vaincre.
Amour et espoir"

le 2 avril 2024 il écrit :
Sisyphe

Imaginez que vous deviez vivre la même vie avec les mêmes détails, les mêmes émotions, le même mouvement, la même odeur, la même atmosphère, comme un film d'une minute, répété encore et encore comme une sorte de métaphore de la vie de Sisyphe.
Nous savons tous qui était Sisyphe, et qu'il a été condamné à faire rouler éternellement une pierre du bas vers le haut d'une montagne, pour la voir redescendre au moment où il atteint le sommet.
Ajoutez à cette histoire que chaque fois qu'il pousse la pierre, Sisyphe perd une partie de son corps ; il perd un doigt, un morceau de peau, une main, un œil, une oreille....
C'est ce qu'est devenue la vie des Palestiniens de Gaza : se réveiller chaque jour, se déplacer partout à la recherche d'un colis d'aide alimentaire, d'une tente à construire pour s'abriter, ou vendre des produits alimentaires recyclés provenant de l'aide alimentaire, et essayer d'assurer un repas pour la famille.
Cela se répète encore et encore, encore et encore. Mais aussi, chaque jour, ils perdent une partie de leur corps, ils perdent des membres de leur famille, des amis, des maisons et de l'espoir. Ils perdent chaque jour la plus belle partie de leur corps, ils perdent leurs enfants.
Et l'armée barbare israélienne, qui se croit devenue Zeus, ne fait que jouir des résultats de l'horreur qu'elle a créée de ses propres mains.

Hossam 28 mai 2024  "Quand cela suffit"

Hossam 2 juin 2024  "Manque d'espoir" 

 Hossam 5 juin 2024 "Ici et là, entre le Caire et Gaza"

Hossam 9 juin 2024  "46 Minutes"

Hossam 10 juin 2024 "Ouvrez les yeux, ouvrez votre cœur"

 

 

 

Hommage à Refaat Alareer

 

 

Il n’y a pas de poèmes de destruction massive. Hommage à Refaat Alareer 

 

Le 6 décembre, l’universitaire et poète palestinien Refaat Alareer était assassiné à Gaza par une frappe « chirurgicale » qui visait avec précision l’étage du petit immeuble où il s’était réfugié, avec sa famille. Sept autres personnes, dont quatre enfants (son fils et trois de ses neveux), ont également été tuées lors de ce bombardement, et trois autres blessées.

Quelques jours avant son assassinat, Refaat Alareer avait écrit ce poème, traduit dans des dizaines de langues, du japonais au swahili, et partagé par des internautes partout dans le monde : 

Si je dois mourir...

« Si je dois mourir, 

Il faut que tu vives, 

Pour raconter mon histoire,

Pour vendre mes affaires, 

Acheter un bout de tissu,

Et quelques ficelles. 

(Fais-le blanc et qu’il ait une longue traîne !) 

Qu’ainsi un enfant, quelque part dans Gaza, 

Tandis qu’il lèvera les yeux par-dessus le ciel,

Attendant son père parti dans un éclat, 

Et il n’a dit adieu à personne, 

Pas même à sa chair, 

Pas même à lui-même — 

Puisse voir le cerf-volant, 

Mon cerf-volant que tu auras fait, 

Dans la hauteur au-dessus de sa tête, 

Qu’il pense un instant qu’un ange est là, 

Venu lui rapporter l’amour.

Si je dois mourir,

Qu’il en naisse de l’espoir,

Qu’il en reste une histoire ».

« Je résiste dans la dignité » : Poème de Ziad Medhouk

Gaza 2014

Ziad

 

 

 

 

 



Je résiste sur les montagnes hautes de Naplouse
Je résiste dans la mer encerclée de Gaza
Je résiste au pied de collines occupées de Ramallah
Je résiste sur la terre sacrée de Jérusalem
Je résiste sur la terre sainte de Bethlehem
Je résiste en Palestine et pour la Palestine.

Aux côtés des oliviers menacés de Jenin, je résiste !
Sur ma terre confisquée à Hébron, je résiste !
Près des rares orangeraies de Java, je résiste !
Prés des dattiers mûrs de Jéricho, je résiste !

Contre les colons illégaux, je résiste !
Contre les soldats agresseurs, je résiste !
Contre l’impunité des oppresseurs, je résiste !
Contre la terrible violence des occupants, je résiste !
Face à un usurpateur arrogant, je résiste !
Malgré le silence assourdissant
Et malgré l’hypocrisie latente, je résiste !
En dépit de l’injustice, je résiste !
Je résiste pour la paix et je résiste en paix !

Par ma lutte pacifique, je résiste !
Par ma présence riche en humanité, je résiste !
Par une poésie engagée qui creuse son sillon, je résiste !

Avec la force de mon droit, je résiste !
Avec ma plume et mes vers, je résiste !
Avec mon existence sur ma terre, je résiste !
Avec ma persévérance et ma foi, je résiste !
Avec ma glaise d’amour et de tolérance, je résiste !
Avec l’arme indestructible de mon espoir, je résiste !

Pour une graine d’espérance, je résiste !
Pour une nuit magique, toujours lumineuse, je résiste !
Pour le courage de la mère d’un martyr qui sait pardonner, je résiste !
Pour le retour d’un réfugié, je résiste !
Pour une cause juste et noble, je résiste !
Pour créer de nouveaux horizons d’espérance, je résiste !
Pour que nos arbres grandissent où vivent leurs racines, je résiste !
Pour en finir avec le nuage de l’horreur qui planait sur la Palestine, je résiste !

Puisque ma patience est un génie, je résiste !
Puisque je suis soutenu par la bravoure des solidaires, je résiste !
Puisque mon sourire est plus puissant que leurs armes, je résiste !
Puisque les épées de la victoire brillent dans mes yeux, je résiste !
Puisque je suis attaché à la vie, je résiste !

Pour arrêter la machine infernale de cette occupation
Qui continue de fustiger inlassablement, je résiste !
Pour allumer sans éclipse la lumière de notre avenir, je résiste !
Pour guérir les blessures et la douleur des années noires, je résiste !
Pour rendre leur sourire à nos enfants traumatisés, je résiste !
Pour effacer le désespoir de nos jeunes enfermés, je résiste !
Pour arrêter le génocide et les crimes arbitraires contre mon peuple, je résiste !
Pour la reconnaissance de nos droits légitimes, je résiste !
Pour que mon cri légitime contre l’injustice soit entendu, je résiste !
Pour un monde plus humain et plus humaniste, je résiste !

Dans la dignité, je résiste !

Loin de la haine, je résiste !

Pour l’humanité, je résiste !

Pour la vie et la paix, je résiste !

Poème "Je résiste dans la dignité" de Ziad Medoukh (Gaza 2014)

J'attest poème de Abdellatif Laâbi

Abdellatif laabi 1

Poeme de abdellatif laabi

 

Poème écrit suite aux attentats contre Charlie Hebdo par Abdellatif Laâbi  (né en 1942)

Je résisterai - pème de Samih al-Qâsim

Samih alqasim

Je perdrai peut-être – si tu le désires – ma subsistance Je vendrai peut-être mes habits et mon matelas Je travaillerai peut-être à la carrière comme porte faix, balayeur des rues Je chercherai peut-être dans le crottin des grains Je resterai peut-être nu et affamé Mais je ne marchanderai pas O ennemi du soleil Et jusqu'à la dernière pulsation de mes veines Je résisterai.

Je résisterai

Tu me dépouilleras peut-être du dernier pouce de ma terre Tu jetteras peut-être ma jeunesse en prison Tu pilleras peut-être l'héritage de mes ancêtres Tu brûleras peut-être mes poèmes et mes livres Tu jetteras peut-être mon corps aux chiens Tu dresseras peut-être sur notre village l'épouvantail de la terreur Mais je ne marchanderai pas O ennemi du soleil Et jusqu'à la dernière pulsation de mes veines Je résisterai.

Tu éteindras peut-être toute lumière dans ma vie Tu me priveras peut-être de la tendresse de ma mère Tu falsifieras peut-être mon histoire Tu mettras peut-être des masques pour tromper mes amis Tu élèveras peut-être autour de moi des murs et des murs Tu me crucifieras peut-être un jour devant des spectacles indignes O ennemi du soleil Je jure que je ne marchanderai pas Et jusqu'à la dernière pulsation de mes veines Je résisterai.

Samih al-Qâsim

 

Poème de septembre 2010 - anonyme - dans "parole de citoyens"

2024 04 13 enfants de gaza

Date de dernière mise à jour : 08/12/2024