En Israël, un début de prise de conscience dans l’armée alarme le pouvoir Alors que le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, au nom de la guerre menée contre le Hamas, annonce étendre son offensive meurtrière contre Gaza, l’armée israélienne donne des signes de regimbement. Parti de pilotes réservistes, le mouvement se répand. Antoine Perraud 12 avril 2025 à 18h37 IlIl y a comme un vent de désobéissance qui commence à souffler dans les rangs, en Israël ; alors que depuis les massacres commis par le Hamas le 7 octobre 2023, le gouvernement de Benyamin Nétanyahou joue sciemment de la confusion entre le droit de se défendre contre le terrorisme et le droit de se venger sur le peuple palestinien. Déjà ce mois de mars n’était plus tout à fait celui de la guerre, au fond de bien des consciences civiles comme militaires, en raison de la rupture indéfendable de la trêve qui prévalait à Gaza depuis janvier. Des refus d’être enrôlés ont alors surgi çà et là, ce dont la presse israélienne s’est fait régulièrement l’écho. Dans un tel contexte, près d’un millier de retraités ou réservistes de l’armée de l’air israélienne ont signé un appel à garantir la libération des otages aux mains du Hamas. Et ce, même si une telle priorité devait impliquer la fin de la guerre à Gaza. Illustration 1 Lettre ouverte des pilotes réservistes et à la retraite de l’armée de l’air israélienne, publiée le 10 avril 2025 par le quotidien «Israel Hayom » (capture d'écran du site du journal). Rendu public dans différents journaux jeudi 10 avril sous forme de lettre ouverte, ce texte affirme : « Seul un accord peut ramener les otages en toute sécurité, tandis que la pression militaire conduit principalement à la mort des otages et à la mise en danger de nos soldats. » Une phrase a retenu l’attention : « La guerre sert principalement des intérêts politiques et personnels, et non des intérêts sécuritaires. » La réaction du pouvoir n’a pas tardé, après cette mise en cause à peine voilée de la politique du premier ministre, Benyamin Nétanyahou, et de son gouvernement marqué à l’extrême droite. Le jour même, l’armée, en service commandé, annonçait que les signataires seraient mis au ban : « Tout réserviste actif ayant signé la lettre ne pourrait pas continuer à servir. » Un communiqué diffusé par les services du premier ministre enfonçait le clou : « Refuser, c’est refuser, même lorsque cela est implicite, ou exprimé dans un langage euphémisant. » Et d’ajouter : « Les déclarations qui affaiblissent les forces de défense d’Israël et qui renforcent nos ennemis en temps de guerre sont impardonnables. » L’armée israélienne a repris le 18 mars ses bombardements aériens puis son offensive terrestre dans la bande de Gaza, afin, aux dires du gouvernement, de contraindre le mouvement islamiste à libérer les otages israéliens qu’il retient encore. Alors même qu’une trêve, en vigueur du 19 janvier au 17 mars, avait permis le retour de trente-trois otages israéliens – dont huit dépouilles –, en échange de la libération par Israël d’environ mille huit cents prisonniers palestiniens. Cette rupture de la trêve divise plus encore la société israélienne, dont l’émotion légitime, à la suite du 7 octobre 2023, n’aura cessé d’être instrumentalisée par un pouvoir altéré de rétorsions sanglantes qui, à leur tour, sèment le doute. En témoignent les réactions contrastées à la lettre ouverte des pilotes réservistes ou retraités de l’armée de l’air. « Il ne s’agit pas d’un refus ou d’une défiance, et ce n’est pas dirigé contre l’armée », soutient l’un des signataires anonymes auprès du site anglophone du quotidien Yediot Aharonot. Selon ce journal, au sein de l’armée, l’ appel « n’a pas été formellement classé comme un acte de refus ou d’insubordination, dans la mesure où aucun des signataires n’a reçu d’ordres directs auxquels il aurait refusé d’obéir ». En revanche, pour le quotidien gratuit Israel Hayom – le plus important tirage de la presse israélienne, qui a tout de même publié le document –, cette lettre, écrite par des « incendiaires » et des « agents du chaos », ne vise qu’à « souiller les héros de l’armée de l’air » pour « exercer une pression politique injustifiable à l’encontre du gouvernement ». Nous sommes préoccupés par l’érosion de la force de réserve et les taux croissants de non-présentation au service, et nous nous inquiétons des conséquences à long terme de cette tendance. Lettre ouverte de réservistes de l’unité 8200 du renseignement militaire israélien. En dépit de la propagande des moyens de communication et des pressions de l’armée, le mouvement de prise de conscience, prélude à une possible désobéissance, pourrait faire tache d’huile. Vendredi 11 avril, une autre lettre était publiée dans les médias israéliens : quelque deux cent cinquante réservistes de l’unité de renseignement militaire 8200 apportaient leur soutien aux pilotes qui s’étaient exprimés la veille. « Nous nous identifions à l’affirmation grave et troublante selon laquelle, à l’heure actuelle, la guerre sert principalement des intérêts politiques et personnels, et non des intérêts de sécurité », assène à son tour ce texte, qui affirme du surcroît : « Nous sommes préoccupés par l’érosion de la force de réserve et les taux croissants de non-présentation au service, et nous nous inquiétons des conséquences à long terme de cette tendance. » Combien de temps Benyamin Nétanyahou pourra-t-il se contenter de fustiger des « anarchistes » factieux souhaitant « renverser le gouvernement » ? D’autant que des vétérans de la marine y sont aussi allés de leur appel à la fin des opérations meurtrières contre Gaza, rejoints par des médecins réservistes. « Désobéissance civile » Dans le quotidien Haaretz, Guy Perl, soldat infirmer, sort de l’anonymat pour témoigner avec force de son refus, après avoir servi sans broncher, de rompre la trêve au mois de mars dernier : « Des enfants innocents et des familles entières de Gaza allaient être à nouveau anéantis, dans le seul but d’éviter à notre régime de rencontrer la remise en cause qui ne manquera pas pour lui dès la fin effective des combats. » Et Guy Perl d’oser cette phrase lucide et courageuse, dans sa tribune publiée par Haaretz : « Un gouvernement de criminels a joué sur le désir de vengeance de la population et l’a exacerbé, afin d’échapper à ses responsabilités et de consolider son propre pouvoir. » N’ayant écopé que d’une amende alors qu’il s’attendait à être jeté en prison, l’infirmier militaire conclut : « Personne ne devrait coopérer avec un tel régime. Notre moyen de résistance le plus puissant – peut-être le seul qui puisse avoir un effet – est le refus du service militaire, couplé à la désobéissance civile. » Antoine Perraud